La communication financière doit faire rêver pour donner davantage de flexibilité stratégique à l’entreprise
Article Nouvel Economiste du 25 mai 2018 – Bertrand Jacquillat – 25/05/18
Le mentor et gourou de Warren Buffett, Benjamin Graham, professeur de finance à Columbia, et auteur de la bible de l’analyse financière et de l’évaluation dans les années 1940, Security Analysis, avait l’habitude de dire :
« A court terme, le marché des actions est une machine à voter et à long terme, c’est une balance pour peser l’argent que la société rapporte à l’actionnaire ».
Et il est vrai que le prix des actions ne fait que refléter les cash flows futurs qu’une société est susceptible de générer. Et les sociétés n’ont guère plus de deux moyens pour guider les investisseurs à lire dans le marc de café et les conforter sur leur futur.
Le premier moyen c’est de leur fournir régulièrement des prévisions sur ce que devrait être le chiffre d’affaires du prochain trimestre, ou les résultats du prochain semestre, toujours en comparaison de celui de l’exercice précédent. Ces indications aident les analystes et les investisseurs à forger leur opinion sur ce que sera le niveau des principales grandeurs financières de la société dans un proche avenir. Ces prévisions agrégées forment le consensus de place et la communication financière des sociétés consiste à « gérer ce consensus », de sorte qu’à l’arrivée les résultats soient un peu supérieurs aux attentes du marché, et constituent ainsi une bonne nouvelle, facteur de soutien des cours. Mais si les résultats ne sont pas conformes au consensus, gare aux accidents de la route pour les actions des sociétés concernées.
L’autre moyen est beaucoup plus subtil, plus bénéfique aux sociétés mais éventuellement plus risqué comme a pu s’en rendre compte Tesla en début de mois. A un journaliste qui l’interrogeait lors de la dernière conférence téléphonique sur le montant de capital que la société aurait besoin de lever prochainement, Elon Musk, le fondateur et président répondit « Les questions ennuyeuses et bouffonnes ne sont pas les bienvenues. Question suivante ? ». Pour les investisseurs, les questions quant aux cash flows futurs ne sont pas une bouffonnerie, surtout lorsque celles-ci s’adressent à une société qui « brûle » 1 milliard de $ par trimestre. Cette réponse a d’ailleurs fait déraper le titre de -15%. Certes, le style de communication d’Elon Musk est brutal, mais on peut interpréter sa réponse de manière positive « Si vous êtes préoccupé par les résultats à court terme de la société, celle-ci n’est pas faite pour vous comme investisseur ».
Cette préoccupation de long terme, c’est ce dont rêvent les dirigeants des sociétés en croissance, et ils ont bien raison, car cela leur donne un avantage compétitif énorme. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le cas d’Amazon. Depuis plus de 25 ans que la société a été créée, son fondateur et CEO, Jeff Bezos, n’a cessé de répéter aux investisseurs que tout le cash généré par la société serait réinvesti. Et encore aujourd’hui, la marge opérationnelle de la société n’est que d’à peine 2%. C’est peu mais cela n’a pas empêché Amazon de devenir une des toutes premières capitalisations boursières mondiales. Et si son principal concurrent sur sa première activité, Walmart, pouvait mener la même politique financière, cela lui libèrerait plus de 10 B$ tous les ans pour l’investissement, soit l’équivalent du budget annuel d’investissement d’Amazon. Mais il ne le peut pas parce que ses actionnaires exigent de lui de recevoir des dividendes, à l’inverse de ceux d’Amazon. Car la communication financière d’un titre axée sur le court terme a pour corollaire de distribuer un dividende qui vient conforter celle-ci. Amazon a une manière de communiquer au marché qui lui donne davantage de flexibilité que celle de la plupart des autres sociétés, qui consiste à faire rêver tout en délivrant ce qu’on annonce. Cela permet aux dirigeants de sortir des ornières du court terme si préjudiciable à la stratégie des entreprises.