Créons de la valeur
par le management stratégique des coûts

Déconstruire le carcan réglementaire

Par Bertrand Jacquillat – le 10/02/2024

Une nouvelle révolte est en cours dont la principale revendication est de déconstruire le cadre réglementaire. Elle est partie de pays aussi différents que l’Argentine, avec le symbole de la tronçonneuse pour couper dans la dépense publique érigée en emblème de la principale disposition du programme de son candidat à la magistrature suprême devenu président, Javier Milei ; que les Etats-Unis avec l’annonce de la mise en place par Donald Trump, avant même son investiture, du Department of Government Efficiency (DOGE) dirigée par l’entrepreneur Elon Musk. Cette révolte se propage dans toutes les régions du monde, sous des gouvernements de droite comme de gauche. Même des pays apparemment réfractaires y procèdent, comme le Vietnam qui a annoncé la suppression d’un quart de ses agences gouvernementales, l’Inde, l’archétype d’un pays de castes assises sur des rentes, ou encore la Nouvelle Zélande. La semaine dernière, Ursula von der Leyen annonçait le programme de la Commission européenne avec sa « boussole de compétitivité » s’inspirant enfin, plus de quatre mois après sa sortie, du rapport Draghi consacré aux moyens de remédier à l’absence de compétitivité de l’Union européenne. Même la France semble vouloir s’y mettre par la voix de son Premier Ministre François Bayrou. Celui-ci s’exprimant de la tribune de l’Assemblée Nationale a trouvé la situation inacceptable et s’est proposé d’entamer un fort mouvement de débureaucratisation.

La volonté de réformer la manière dont fonctionne la sphère d’état semble encore plus forte aujourd’hui que celle qui prévalait dans les années Reagan-Thatcher. Même si elle est plus risquée, du fait de son ambition d’aller plus loin qu’il y a cinquante ans, elle pourrait aboutir à des résultats encore plus spectaculaires. D’abord, et comme nous l’évoquions dans une chronique précédente, parce que pour aller mieux les choses doivent aller encore plus mal ; les démocraties ont besoin d’une crise pour se transformer, car il est impossible d’y introduire le changement sans que ne se lèvent de puissantes oppositions pour les en empêcher.

Le parcours d’expérience des pays ayant engagé des réformes au fil de l’eau est très médiocre, celles-ci n’ayant franchement pas été couronnées de succès. Certes, on ne sait jamais lorsque le fond a été atteint, mais en matière de carcan bureaucratique, et même s’il convient de penser que toute société a besoin de régulation pour fonctionner, les opinions publiques semblent estimer que cette fois-ci la coupe est pleine, et qu’il convient de changer radicalement de direction et de logiciel. Ainsi, et selon le Regulatory Center de l’université de Washington, les réglementations fédérales américaines recouvrent aujourd’hui plus de 180000 pages, alors que ce chiffre n’était que de 60000 dans les années 1960. De tels exemples courtelinesques sont légion. Bref, le fond semble être au voisinage d’être touché.

Cette prise de conscience, qu’elle soit ressentie sur un plan personnel ou professionnel, est essentielle pour parvenir à déconstruire la réglementation tant les forces pour l’en empêcher sont fortes. Elle est par ailleurs étayée par des publications scientifiques de plus en plus fréquentes. Nous en avons retenu deux, l’une micro et l’autre macro, dont les résultats sont indiscutables, en même temps que les moyens pour les obtenir tout à fait ingénieux et novateurs. La première ressort de l’étude de Michael Ewens, Kairong Xian et Ting X de l’université Columbia « Regulatory costs of being public ». Sur tous les marchés d’actions, on constate depuis une quarantaine d’années une diminution régulière du nombre de sociétés qui y sont cotées. Le phénomène est particulièrement sensible aux Etats-Unis où leur nombre est passé de 9000 en 1995 à 4200 aujourd’hui. Au sein de ces dernières, ils ont d’abord constaté une accumulation de sociétés figurant juste en deçà des seuils réglementaires à partir desquels les normes de reporting et de gouvernance deviennent plus exigeantes et partant plus coûteuses à respecter pour les entreprises. Pour les contourner, celles-ci adoptent un comportement leur évitant d’avoir à supporter cette « taxe réglementaire » que les auteurs évaluent à 1,4% de leur capitalisation boursière. Une telle situation freinerait leur croissance si elles ne pouvaient l’éviter d’une manière ou d’une autre. C’est ce qu’elles ont fait en s’endettant plus que de raison pour éviter d’avoir à augmenter leurs capitaux propres, en encourant tout de même des coûts, certes plus faibles que la taxe réglementaire. D’aucuns pourraient qualifier cet exemple de presque anecdotique. Il a néanmoins le mérite d’illustrer comment une norme peut avoir des effets secondaires qui aboutissent à des comportements d’optimisation au niveau individuel préjudiciables à la collectivité.

Au niveau macro, Bruno Pellegrino et Geoffrey Zheng de l’université Columbia évaluent le coût de la réglementation dans les pays de l’Union européenne, dans « The cost of red tape : how regulation impacts GDP in European countries ». Pour ce faire, ils s’appuient sur une base de données tout à fait particulière qui combine les données comptables de 14 859 entreprises de sept pays européens (l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, la Hongrie, la Grande-Bretagne, l’Italie) avec des données d’enquête d’opinion. Les résultats sont très variables selon les pays, mais c’est à la France que revient la palme d’or avec un coût annuel de la réglementation estimé à 4% de son PIB…

Une raison supplémentaire qui pourrait s’avérer décisive pour que soit venu le moment de la déconstruction des réglementations, c’est la déferlante de l’IA. Son utilisation dans cette perspective a déjà été expérimentée avec succès dans certains pays, comme en Estonie. C’est aussi la perspective que vient de donner Donald Trump avec le décret présidentiel enjoignant à DOGE d’utiliser les technologies et logiciels appropriés pour maximiser l’efficacité gouvernementale. Certes supprimer les nombreuses réglementations qui sont inutiles, voire nuisibles, est une tâche très difficile. Mais la déconstruction du carcan réglementaire, si elle est réussie, a nombre d’effets bénéfiques : davantage de libertés (la mère de toutes les batailles), davantage d’innovations, des prix plus bas et davantage de croissance économique.

Bertrand Jacquillat est vice-président du Cercles des économistes et senior advisor de Tiepolo

Partager la publication


ÊTRE RAPPELÉ

Je souhaite être rappelé(e)
Inscrivez-vous ci-dessous et vous serez contacté(e) par téléphone.

ABONNEZ-VOUS

Pour recevoir nos dernières communications