
Pourquoi « personne n’aime les RH »
Source www.lesechos.fr – par Muriel Jasor – 10/04/2025
Un film, un livre au titre provocateur et deux baromètres mettent en lumière les défis et espoirs de la fonction ressources humaines (RH) en mutation perpétuelle et souvent mal comprise.
“J’ai adoré la détester, mais j’ai vraiment adoré la détester”, confiait à l’émission “On aura tout vu”, sur France Inter, l’actrice Jeanne Balibar à propos de la redoutable directrice des ressources humaines (DRH) qu’elle interprète dans “Le Système Victoria”, le film que Sylvain Desclous a adapté du roman éponyme d’Eric Reinhardt.
Quasiment au même moment est sorti en librairie “Personne n’aime les RH”. Un ouvrage au titre délibérément provocateur (assorti cependant du sous-titre “Et il est temps que ça change !”), publié par les éditions EMS et qu’a bien voulu préfacer Audrey Richard, la présidente de l’ANDRH , l’Association nationale des DRH. “Le titre met les pieds dans le plat et je ne peux que confirmer cette affirmation. C’est un constat aujourd’hui partagé par une grande partie de notre profession”, a-t-elle reconnu avant d’enjoindre RH, associations et leaders engagés “à faire évoluer une image d’un autre temps”.
Gagner des galons
La fonction ressources humaines (RH) est pourtant remontée dans l’estime de beaucoup depuis la crise sanitaire, ayant largement su faire, en ces circonstances, la démonstration de son caractère essentiel tant pour soutenir les salariés qu’accompagner les managers dans le développement des organisations.
Gestion de la marque employeur, développement des compétences (notamment en intelligence artificielle), prévention des risques psychosociaux, actions en faveur de la santé physique et mentale, amélioration des conditions de travail… Les RH ont su étendre leurs prérogatives et, dans la foulée, gagner des galons. On ne compte plus, tant cela est devenu commun, les DRH qui siègent au comité exécutif ou de direction des entreprises.
Pourquoi alors, cinq ans après la survenue du Covid et malgré des progrès notables, les RH cristallisent-elles encore autant de critiques ?
“Nous sommes censés être les gardiens de l’humain dans l’entreprise, mais nous sommes aussi les garants de la performance. Et ces deux missions sont souvent en contradiction”, résume un DRH dans l’ouvrage coécrit par Gaspard Tertrais et Rebecca Renverseau. Un témoignage qui vaut maintes explications.
Des leaders stratégiques
En explorant, dans leur opus, les coulisses d’une fonction qui balance “entre contrôle et soumission”, les cofondateurs du studio en innovation RH Tomorrow Theory cherchent non seulement à lui redonner sa place de “cœur battant de l’entreprise” mais aussi à susciter sa métamorphose.
Le rôle des pros des ressources humaines “exige qu’ils soient des leaders stratégiques, capables d’influencer et de protéger. Pourtant, leur position les cantonne souvent à un rôle d’exécutant, appliquant les directives venues d’en haut. Cette tension fragilise leur crédibilité et brouille leur relation avec les équipes. […] Sans un cadre institutionnel solide et une culture d’entreprise fondée sur le respect et l’équité, les RH risquent d’être englouties par le système qu’ils sont censés servir”, analysent les coauteurs.
Il n’empêche, 7 professionnels sur 10 se voient toujours exercer leur métier dans dix ans, nous apprend la 8e édition du baromètre “Les RH au quotidien” des éditions Tissot et PayFit. Toutefois un sentiment de fatigue, voire d’épuisement (pour 81 % des sondés), de solitude, de manque de temps et de ressources (57 %) et de frustration (76 %) se fait jour ; la fonction RH se technicisant toujours plus . Or, 51 % des experts en RH ont choisi la profession pour sa dimension humaine. Mais beaucoup souffrent d’un manque de reconnaissance et se sentent las de devoir continuellement donner des gages de leur valeur ajoutée.
Face aux nouveaux enjeux
Face à des budgets contraints, le recours – encore très progressif – à l’intelligence artificielle (IA) pourrait permettre de concilier les enjeux humains du métier et sa dimension administrative. C’est du moins ce qu’espèrent 33 % des répondants.
De son côté, un autre baromètre (Le Baromètre des DRH) – dont la 10e édition a été réalisée par WTW, ABV Group et RH & M – insiste sur le rôle clé des RH dans la rentabilité, la transformation des organisations – première priorité de 84 % d’entre eux – et l’intégration de contraintes législatives et réglementaires (CSRD, transparence des salaires, loi Rixain , etc.). Ainsi que dans l’amélioration de “l’expérience salarié”, le développement des politiques de RSE (responsabilité sociale d’entreprise) et la promotion de la DEI (diversité, équité et inclusion), à égalité avec la participation à l’optimisation des coûts.
Selon ce second baromètre, 52 % des DRH estiment que leur entreprise est en retard face aux enjeux de l’IA (quand 40 % la jugent prête) et s’attendent à devoir faire face à l’émergence de nouvelles compétences (65 %) et à redéployer des salariés sur des tâches à forte valeur ajoutée (seuls 6 % estiment que l’IA entraînera une réduction des effectifs).
De l’audace et du courage
Priorité est donnée au recrutement, à la formation, l’engagement, la qualité de vie au travail et la fidélisation des collaborateurs. Ainsi qu’au développement des compétences, au management de la performance et à la nécessité de garantir des politiques de rémunération justes et de lutter contre l’absentéisme.
Face à l’avalanche de secousses géopolitiques, environnementales, institutionnelles, sociales et économiques, les pros des RH vont chercher à s’appuyer, d’une façon subtile et équilibrée, sur “la puissance des outils technologiques comme la richesse des interactions humaines”.
In fine, assumer un poste de directeur ou responsable RH requiert de l’audace, “une certaine maturité et un courage immense. Or tout le monde n’est pas prêt à affronter autant de tensions, ni à prendre la parole dans des contextes complexes”, pointe un coach. C’est pourtant impératif pour ensuite pouvoir se poser en paratonnerre des remous extérieurs tout en instillant du changement en interne.